
Sens individuel et sens collectif, une co-responsabilité
Les visions figées, où l’individu charge l’entreprise de lui donner du sens, où l’entreprise charge ses collaborateurs d’adhérer au sens collectif, ne suffisent plus. Il y a co-responsabilité pleine et entière face à la relation entre les 2 parties. L’individu est totalement responsable de son bien-être au travail, sans que cela n’enlève rien à la responsabilité de l’entreprise en la matière. L’entreprise est totalement responsable des résistances qu’elle rencontre, sans que cela n’enlève rien à la responsabilité d’évolution de ses collaborateurs. Ces phrases bousculent bien des idées ancrées dans nos sociétés. Elles s’attaquent simplement à la bonne vieille recherche du coupable.
Face à la complexité, rappelons-le, il faut penser ET, pas OU. Dans la relation entre l’individu et l’entreprise, il y a co-responsabilité. C’est là où le bât blesse lorsque le sens comme le cadre de la relation sont questionnés. Si l’on peut accepter théoriquement cette co-responsabilité, on ne sait pas vraiment quoi en faire sur le plan pratique. Depuis des siècles, le modèle hiérarchique classique a modelé notre conception des choses autour de la notion du responsable ultime. Et même lorsqu’on joue avec cette vision des choses, on se heurte par exemple au fait que juridiquement, il y a un responsable.
Du coup, nous ne percevons pas toute l’ampleur de la co-responsabilité. Il ne s’agit pas d’une sorte de division, ou chacun pourrait se prémunir de son propre devoir sous prétexte que l’autre n’a pas rempli le sien. Personnellement, il n’y a pas de raison que je bouge tant que l’entreprise ne bouge pas. En tant qu’institution, il n’y a pas de raison que nous mettions des choses en place pour ceux qui ne s’investissent pas. Ces deux attitudes ne poussent qu’à se décharger de sa responsabilité, à l’immobilisme et à l’absence de sens.
De même, cette co-responsabilité ne signifie pas que l’on doive s’asseoir autour d’une table et décider ensemble d’en prendre chacun sa part. Les mouvementsactuels de la co-décision, de la co-construction, du co-développement et plus largement de l’intelligence collective, s’ils sont mal interprétés, peuvent laisser croire que l’essentiel est de se mettre ensemble et d’avancer collectivement. Et ce faisant, compter sur l’effet de groupe pour que les choses se déclenchent. Or l’initiative est toujours une impulsion donnée par un membre individuel du collectif. La construction qui s’ensuivra se fera par interaction. Elle peut avoir été facilitée par la fertilisation des idées. Mais elle est le fait d’une des deux parties. Quand vous partez en vacances en famille, vous aurez peut-être remué beaucoup d’options tous ensemble. Vous définirez le parcours ou les activités en construisant avec votre partenaire et vos enfants.Mais toujours, il y a en aura un qui aura prononcé le mot magique, celui du lieu autour duquel tous s’accorderont. Le groupe magnifie la créativité, oui, mais elle ne fonctionne que si chacun est engagé totalement dans le processus.
On peut alors parler ici de co-responsabilité entière. Toutes les parties d’une relation sont individuellement et totalement responsables de la relation.
Ce n’est pas toujours très confortable, on ne peut guère se cacher, ni trop se reposer sur l’autre. Mais cela clarifie bien des choses. Si ma à mon job ne fonctionne pas, j’en suis totalement responsable. Sans que cela n’enlève rien à la responsabilité de l’entreprise qui m’emploie. Mais c’est d’abord à moi d’agir pour prendre toute ma place. Inversement, l’entreprise est totalement responsable du fait que ses membres prennent toute leur place dans son évolution. Ce qui là aussi n’enlève rien à leur responsabilité individuelle.Mais c’est à elle d’agir sans se réfugier dans une sorte de contrat donnant-donnant. La notion de co-responsabilité entière bouleverse les codes selon lesquels on a chacun sa place et l’on s’accorde sur une démarche commune. Cette vision contractuelle de la relation qui reste souvent en vigueur dans le monde du travail était suffisante dans un environnement relativement stable. On pouvait s’appuyer sur des repères clairs pour définir qui était responsable de quoi. Dans un environnement mouvant et incertain, chaque partie de la relation a la charge de l’initiative de l’ensemble des décisions qui touchent à la relation. Comme celle pour l’individu de définir le sens de son engagement et de le concrétiser au quotidien.
Comme responsabilité implique liberté, cela a des conséquences concrètes.L’entreprise est responsable de mettre en place des programmes de développement face aux évolutions qu’elle vit. Cela dit, elle est libre de le faire ou non. L’individu n’a pas à l’attendre. Il est responsable de prendre son évolution en mains. Et il est libre de le faire ou non. Ces affirmations vous bousculent ?Elles bousculent surtout les notions de paternalisme et de conditionnement. Ces deux principes marquent certes notre culture et notre histoire. Mais elles sont caduques. Le paternalisme s’appuie sur un cadre, à la fois contraignant et protecteur. Ce cadre a explosé, il n’est plus crédible. Plus grand-chose n’est déterminé à l’avance, nous allons vers l’inconnu. Accepter cette évolution a des conséquences concrètes. L’entreprise comme l’individu ont à agir de leur propre point de vue, en espérant une contrepartie sans doute, mais sans préjuger de l’attitude de l’autre partie.
Ainsi, lorsqu’une entreprise lance un programme de formation face aux mutations qu’elle vit, elle le fait depuis sa pleine et entière responsabilité.
Elle n’a pas à demander le consentement de ses collaborateurs. Pour autant, ceux-ci n’ont aucune idée de ce qu’ils en retireront. Apprendre est un chemin autant qu’un but. Si vous partez en voyage dans un pays lointain, vous pouvez l’avoir préparé autant que vous voulez, cela définira les jalons de votre périple, mais cela n’aura que peu de rapport avec l’expérience intime que vous y vivrez. Le voyage est la découverte. Le voyage est l’apprentissage. Ce n’est donc pas infantiliser ou forcer des collaborateurs que de les mettre en situation de développement professionnel. Théoriquement, libre à eux de l’accepter ou de le refuser. Mais comme bien peu osent dire non à leur employeur, il leur est difficile d’officiellement refuser de participer à un programme de développement. Par contre, une fois en chemin, leur liberté prend tout son sens. En découvrant la réalité du chemin d’apprentissage, chacun se positionnera.
À l’inverse, les individus sont libres et responsables de trouver un sens à leur action.
Leur développement professionnel leur appartient, pour savoir conjuguer leurs compétences avec leurs aspirations personnelles. Ils peuvent bénéficier des programmes mis en place par leur entreprise, une université, une entreprise d’outplacement ou l’État. Ils sont aussi responsables de les trouver pour en bénéficier. S’ils ne le font pas, c’est un choix personnel qui leur ôte le droit de se plaindre longtemps de leur situation. D’être libre enlève aussi toute notion de culpabilité. L’entreprise n’a pas à les culpabiliser en les exhortant au développement de leur « agilité mentale », elle peut leur proposer des actions en ce sens mais se doit d’accepter leur liberté.
Cequi ne marche plus, c’est de se comporter pour que l’autre agisse d’une certaine manière. Ce qui fonctionne, c’est d’agir de manière libre et responsable depuis son propre besoin, et de composer avec la façon dont l’autre partie de la relation l’aura fait de son côté. Pour ensuite faire évoluer la relation vers plus de richesse, ou y mettre un terme.
Sur le plan individuel, pour chacun de nous, cela veut dire savoir identifier ce que l’on veut dans notre vie professionnelle, et proposer notre valeur ajoutée. Puis ensuite trouver l’employeur qui sera le bon partenaire, ou influencer positivement la relation en cours avec notre entreprise. Trouver du sens est une démarche personnelle. L’entreprise devient un contexte, parfois une opportunité, elle n’est plus un déterminant. C’est tout l’enjeu du self-leadership.
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