Peut-on être soi et jouer un rôle ?
Jean-Yves Mercier

Peut-on être soi et jouer un rôle ?

Jean-Yves Mercier

Être soi et jouer un rôle. Dans la conscience collective, ces deux notions sont antinomiques. On ne peut être soi si l’on joue un rôle.  Mais qu’entendons-nous par “rôle” ? C’est là toute la confusion. Un rôle n’est pas un déguisement mais le reflet et l’expression d’une facette de notre personnalité, d’une identité que l’on a modelée au travers de notre interaction avec autrui.

Il s’appelle Michel. Les cheveux grisonnants, la barbe bien taillée et le costume impeccable, il est le directeur général France d’un grand groupe international basé en Suisse. Apprécié de ses collaborateurs, il est cependant surnommé le “Shérif”, du fait qu’il aime l’ordre, le travail carré et la ponctualité. “Lorsque je demande quelque chose, ce n’est jamais pour demain, c’est toujours pour hier”, dit-il non sans une pointe d’ironie. 

Une personnalité qui dénote de sa vie personnelle. Les soirs et week-ends, Michel n’est plus cet homme de fer : l’ordre laisse place au désordre, sa créativité s’exprime dans ses jeux imaginés pour ses enfants, et sa maîtrise maladive disparaît par des “on verra demain, nous avons tout notre temps.”

Deux profils totalement opposés qui suscitent certaines réactions de la part de son entourage : il n’est donc pas lui-même, il joue un rôle au travail. Mais ne peut-on pas jouer un rôle tout en étant soi-même ?

Nous jouons tous des rôles, sans exception

Dans la pièce Comme il vous plaira de William Shakespeare, le personnage de Jacques énonce l’idée que “Le monde entier est une scène, hommes et femmes, tous, n’y sont que des acteurs, chacun fait ses entrées, chacun fait ses sorties, et notre vie durant, nous jouons plusieurs rôles”. Plus de 400 ans après, cette métaphore résonne toujours dans notre monde actuel.

Nous jouons effectivement plusieurs rôles, celui de mère ou de père, celui de mari ou d’épouse ou encore celui de collègue, d’employé.e ou de manager. Nous prenons tous un rôle en fonction de nos interactions avec notre environnement. 

Les rôles sont ici compris en tant que “fonctions”, rôles que nous endossons dans certaines situations. Ils permettent notamment de poser un cadre dans ses interactions avec l’autre, de créer des repères, mais aussi et d’une certaine manière, des routines. Mais nos rôles vont bien au-delà de la fonction : si nous jouons des rôles, c’est que nous avons également une personnalité multiple. L’être humain est ainsi fait : complexe et paradoxal, il est un personnage aux multiples facettes, manifestant divers traits de caractère.

Jouer un rôle, c’est exprimer une facette de sa personnalité

Jouer un rôle, ou plutôt des rôles, nous permet d’exprimer toutes nos différentes dimensions. Nous pouvons être à la fois stricts au bureau et doux comme un agneau à la maison. Être ordonné dans son travail et à l’inverse, être complètement désordonné chez soi. Dire que nous sommes unidimensionnels est un fantasme. Nous ne pouvons en effet être exactement le.la même au travail, dans son couple, auprès de ses enfants ou de ses amis. C’est d’ailleurs au travers de nos interactions avec autrui que nous définissons une identité ; identité que nous construisons et modelons en fonction de ce que nous avons ENVIE de vivre dans une relation.

Ces rôles que nous jouons ne sont ainsi que le reflet et l’expression de nos différentes personnalités, d’une identité que nous avons choisie et voulue. Tout l’enjeu est cependant de prendre conscience de ces rôles parfois paradoxaux, et surtout de les accepter. 

Nos rôles sont évolutifs

Jouer un rôle et « porter un masque » sont deux notions distinctes. Le problème n’est pas de jouer un rôle, mais de jouer un rôle qui ne représente aucune de ses dimensions.

Parce que l’on ne se reconnaît pas dans son rôle, on adopte ainsi un comportement qui ne nous reflète pas, on se pourvoit dans une identité qui n’est pas la nôtre, on se cale sur les besoins et les attentes de l’autre. Pourtant, cette identité, nous l’avons bien construite et modelée au départ dans notre interaction avec autrui. En réalité, ce n’est pas qu’elle ne nous correspond pas, mais bien qu’elle ne nous corresponde plus. 

Nos rôles ne sont en effet pas figés, ils évoluent. Ici aussi, il sera alors question d’acception : accepter que l’on évolue et que le rôle que nous avons pris dans nos interactions a changé et doit changer si l’on souhaite avancer. Et la seule façon d’opérer ce changement ne sera pas d’essayer de changer l’autre, mais bien soi-même. 

Travailler son self-leadership est ainsi fondamental pour redevenir acteur de ses rôles et ne plus se sentir prisonnier d’une situation guidée par les autres.

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