Le contrat psychologique face au besoin de sens
Jean-Yves Mercier

Le contrat psychologique face au besoin de sens

Jean-Yves Mercier

Dans un monde en perpétuelle mutation, le management des entreprises doit s'adapter à de nombreux défis. Parmi ceux-ci, la question du sens au travail se pose avec acuité. D’un côté, les entreprises sont challengées en continu sur leurs engagements sociétaux, climatiques ou en termes de gouvernance. Sans toujours savoir quoi mettre en place au-delà d’actions ponctuelles visant à l’inclusion ou à leur responsabilité environnementale. De l’autre, les collaborateurs se désengagent. Les absences au travail sont au plus haut, en moyenne 2 semaines par personne en 2023 en Suisse [1]. 42%des français de moins de 35 ans envisagent de quitter leur poste qui n’a plus de sens pour eux [2].

Cette notion de sens au travail a bien sûr été catalysée parle vécu de chacun face à la pandémie du Covid, on l’a assez dit. Mais elle émergeait déjà auparavant. Les entreprises changent constamment, de stratégie, de technologies, de culture. Les individus vivent dans un monde où les repères deviennent flous et s’entrechoquent, amenant chacun à redéfinir ses propres normes de comportements à partir de ses propres croyances. La rencontre n’est plus garantie. Elle ne peut résulter que de la clarté du contrat psychologique entre les entreprises et leurs collaborateurs.

 

Pourquoi ? La mondialisation et l'hyperconnectivité ont profondément transformé les méthodes de travail. Ces changements engendrent des crises de valeurs, des innovations et une révision des méthodes de management.Pour naviguer dans ce contexte, les entreprises doivent ajuster leurs stratégies et clarifier les contrats psychologiques qu'elles établissent avecleurs employés. Mais souvent, elles s’y prennent mal. Il suffit de voir à quel point les politiques d’inclusion des genres ou des jeunes générations sont menées avec un esprit paternaliste et conservateur. Le seul terme d’inclusion en est l’exemple, là où l’on devrait parler de bénéficier de la diversité.

 

Comprendre le contrat psychologique proposé par l’entreprise est donc essentiel pour harmoniser les attentes mutuelles et ainsi favoriser un environnement de travail à la fois productif et épanouissant. Explorons les différents types de contrats et leur impact sur le management contemporain.

 

Les Types de Contrats Psychologiques

 

1. Le Contrat Hédonisme-Sécurité-Progrès

 

Pour les grandes multinationales, comme pour l’État, le but intrinsèque de l’activité est d’assurer une position dominante. Pour garantir ses parts de marché dans le cas de l’entreprise, faire croître sa rentabilité et avoir une force de lobbying suffisante à défendre ses intérêts. Pour maintenir la pérennité du cadre régalien dans le cas de l’État, équilibrer son budget et offrir une certaine égalité de traitement aux citoyens. Y parvenir nécessite de contrôler son environnement, en instaurant des règles et des standards incontournables. Mais aussi en orientant l’action de ses collaborateurs, pour que malgré leur nombre, ils contribuent à assurer l’application de ces standards et la position dominante de l’institution.

Le contrat psychologique proposé repose alors sur un échange de sécurité et de progrès, contre l'acceptation du cadre de travail établi et des objectifs collectifs. Les leviers de management incluent une rémunération souvent attractive, des valeurs fortes, et des opportunités de développement personnel comme professionnel. C’est aussi là que toutes les notions de management bienveillant ou de bien-être au travail se propagent. Non pas forcément qu’elles soient plus développées dans la pratique qu’elles ne le sont ailleurs. Mais pour souligner symboliquement le contrat proposé : l’instauration d’un sentiment de protection et de soutien, en échange d’une certaine allégeance aux valeurs et à l’action l’entreprise. Cette offre-là conviendra aux collaborateurs qui ont besoin d’un cadre clair et stable pour s’épanouir, et qui considèrent que les systèmes ne peuvent évoluer que pas à pas. Elle ne conviendra pas à ceux qui par exemple s’insurgeront contre le fait qu’en 2021, TotalEnergies ait reçu de l'organisme de certification Ecovadis la médaille d'or pour l'intégration de l'environnement, des droits de l'homme etde l'éthique dans son système de management.

 

2. Le Contrat Autonomie-Initiative-Développement

 

Pour les petites et moyennes entreprises (PME), l’enjeu est différent. Il ne s’agit pas de garantir une position dominante, mais une niche de marché. Pour ce faire, l’enjeu est de savoir investir au bon endroit. Les capacités de financement sont limitées, les enjeux multiples et incertains : nouvelles technologies, choix d’expansions géographiques, opportunités d’innovations en termes de produits et de services. Si l’intuition des dirigeants joue un rôle, elle ne peut être le seul atout à mettre en œuvre. On agit le plus souvent en lançant des projets pilotes dans des directions diverses, et en investissant plus avant dans ceux qui commencent à fonctionner. On procède par essai et erreur, par une sorte de sélection naturelle. Et pour y parvenir, on a besoin de collaborateurs capables d’innover comme de prendre des risques.

Le contrat psychologique met alors ici l'accent sur l'autonomie, la liberté d'initiative et le potentiel de développement de leurs propres idées par les collaborateurs, en échange du risque inhérent à une sélection naturelle des talents. Certains réussiront, d’autres non. C’est ici que l’on voit fleurir de nouveaux types d’organisations, agiles, holacratiques, opales ou en équipes autonomes pour reprendre les principales tendances. La responsabilité est déléguée, on encourage les employés à se dépasser et à contribuer activement à la croissance de l'entreprise. C’est un type de contrat quasiment darwinien, qui offre de larges marges de manœuvre mais en sanctionne le résultat sans réelle protection. Il conviendra à ceux qui ont un esprit d’entrepreneur, le goût de l’incertain et de l’exploration de leurs propres idées. Il désemparera les autres.

 

3. Le Contrat d’Expérience Forte en Équipe

 

Pour les très petites entreprises (TPE) enfin, le défi est souvent celui de la survie. Qu’il s’agisse d’une start-up qui doit percer à partir d’une idée originelle. D’un artisan face à de nouvelles technologies qui bouleversent son métier. Ou d’une boutique face à des changements réglementaires d’horaires d’ouverture comme de passage dans sa rue. La seule protection possible réside ici dans la capacité du dirigeant à sentir les opportunités autant que les risques, à avoir l’intuition de la décision à prendre, et à la mettre en place rapidement avec son équipe.  

Le contrat psychologique proposé aux collaborateurs se fonde alors sur une expérience forte au sein d'une équipe, quasiment d’une famille, en échange de l'adaptation constante aux décisions de l'entrepreneur. Les TPE valorisent la mobilisation instantanée et la responsabilité collective autour des changements exigés, avec l'entrepreneur au centre de la dynamique. Ce modèle, que l’on pourrait comparer à celui d’un commando, favorise un sentiment d'appartenance malgré l'incertitude. Il conviendra à ceux qui ont besoin d’un leader fort, d’un mentor, pour vivre avec lui les aléas de son business et les émotions qui vont avec.

 

Le Self-Leadership : Clé de Voûte de la Clarté des Besoins

 

Les entreprises sont rarement claires sur leurs attentes. Combien d’entrepreneurs sont sur la défensive au lieu d’être dans l’adaptation constante ? Combien de PME embrassent la mode du management bienveillant alors qu’elles exigent aujourd’hui des prises de risque sans réelle garantie ? Combien de multinationales ou d’organisations publiques prônent l’initiative alors qu’elles la contraignent dans un cadre rigide ? Les entreprises sont dirigées par des êtres humains, qui font face aux mêmes pertes de repères que chacun de leurs collaborateurs. Les modes de management et les tendances sociétales finissent par diluer la réalité concrète de l’action collective. Cadres et employés finissent par oublier que le travail n'est pas uniquement un lieu de vie, mais aussi l’opérationnalisation d’un contrat. Sa dimension classique – temps contre argent – n’est certes plus suffisante. Mais sa dimension psychologique n’en demeure pas moins celle d’un échange de besoins.

 

Pour que ces contrats psychologiques fonctionnent, il est crucial  que les collaborateurs clarifient leurs propres besoins et attentes, mais aussi la valeur qu’ils sont prêts à apporter au collectif. C’est l’essence même du self-leadership. Cette prise de conscience personnelle permet aux employés de mieux comprendre ce qu'ils recherchent dans leur travail et ce qu'ils sont prêts à donner en retour. Ainsi, ils peuvent éviter les malentendus, assurant une meilleure adéquation entre leurs aspirations et le type de culture d'entreprise qui leur conviendra. À une époque où l’on questionne les repères et les institutions, on ne peut en même temps en attendre la réponse. Puisque quelle qu’elle soit, on la questionnera. Il ne s’agit pas de s’imaginer un monde utopique, mais de choisir parmi des mondes possibles. Et ça, c’est de la responsabilité de chacun.

 

Par où commencer ?

 

Lorsqu'ils grandissent, les enfants testent souvent leurs parents. Pour valider le cadre posé par leur éduction, le comprendre, se l'approprier à leur manière. Les employés ne sont pas des enfants, même si ils peuvent parfois agir comme tels. Et les entreprises peuvent le devenir, lorsque leurs dirigeants réagissent de manière presque colérique face à la résistance au changement. Entre adultes, il y a co-responsabilité. La question du sens au travail ne peut trouver de réponse satisfaisante que si les entreprises et leurs collaborateurs sont clairs sur leurs attentes respectives. Les contrats psychologiques jouent un rôle central dans cette dynamique, en posant les bases d'une relation de travail équilibrée et enrichissante. En investissant dans le self-leadership, les entreprises et les individus peuvent construire des environnements de travail où chacun trouve du sens et de la satisfaction, contribuant ainsi à la performance globale de l'organisation comme à l’épanouissement des individus. Cela, chacun en a la responsabilité, tant les collaborateurs pour eux-mêmes qe les entreprises dans leur engagement à cette clarification mutuelle. Rien ne sert de se renvoyer la balle.A chaque partie du contrat d'en prendre l'initiative.

[1] https://www.rts.ch/info/suisse/2024/article/les-suisses-et-suissesses-manquent-le-travail-en-moyenne-deux-semaines-par-annee-28510135.html
[2]Sondage OpinionWay, 2022

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